samedi 27 juin 2009

VASE, circa 1920.

LA CERAMIQUE DE FRANCIS JOURDAIN

Avec l'ouverture de sa boutique en 1919 ( 2, rue de Sèze, Paris 9ème), Francis Jourdain peut présenter toutes ses créations destinées à l'aménagement intérieur : luminaires, tissus, tapis, vaisselle, verrerie et céramiques. Autant d'éléments aux décors stylisés et aux coloris chatoyants qui rappellent le talent de coloriste du peintre Francis Jourdain. 

La céramique, produite en petite série, est le plus souvent réalisée en terre vernissée, recouverte d'engobes colorés aux motifs de pois, cercles, spirales, rayures et pointillés se détachant de fonds unis ou mouchetés. Comme pour ses meubles, Jourdain s'emploie à réduire la forme et le décor à l'essentiel, et chaque pièce, réalisée d'après un modèle dessiné sur calque, est identifiée par un numéro de modèle et par le monogramme "FJ",  peint ou incisé sous la base. Ses céramiques sont avant tout utilitaires ; il s'agit de services de table, services à thé et à café, vases, pieds de lampes, bonbonnières, cache-pots et cendriers aux formes toutes en rondeur, dont la fabrication est confiée à la manufacture HB Henriot de Quimper, puis aux ateliers du céramiste savoyard Paul Jacquet à Annecy. Il existe un inventaire comprenant cent soixante-quinze calques, provenant du Fonds Jourdain conservé à la Bibliothèque Nationale de France, qui fait état de la variété des formes et des décors, et témoigne de l'importance de la céramique dans son oeuvre. 

Extrait du Portfolio Francis Jourdain, Éditions Galerie Doria, Paris, 2005 


samedi 20 juin 2009

LES "INTERCHANGEABLES"

Vers 1918,  Francis Jourdain réalise ce qui est généralement considéré comme l'une de ses oeuvres maîtresses, comme la synthèse de ses principes : "les meubles interchangeables", des meubles à combinaisons multiples, qui constituent l'aboutissement de ses recherches en termes de gain d'espace et d'aménagement "à la carte" de l'habitation. Ces combinaisons, réalisées en bois naturel pitchpin ou chêne ou acajou, ciré, verni ou laqué, se composent de six éléments destinés à remplir chacun des fonctions différentes et à être utilisés séparément ou reliés les uns aux autres. Tables, lits et chaises complètent ces ensembles vendus dans sa boutique, à partir de 1919. A cette occasion, Jourdain rédige une notice, dotée de dix-huit illustrations d'intérieurs réalisables avec une unité de base, dans laquelle on pouvait lire : 
"De formes sobres, de proportions harmonieuses, conçus dans un esprit de rationalisme délibérément moderne, qui tient compte des exigences de l'hygiène et du goût autant que des nécessités quotidiennes, nos meubles interchangeables répondent à tous vos besoins et à toutes les bourses, ne sont déplacés dans aucun intérieur".

Ce concept, qu'il étudiait depuis des années, lui permettait de mettre en pratique ses conceptions sociales, d'affirmer son goût pour les meubles pluri-fonctionnels et de prendre ainsi ses distances avec le mobilier "habituel", à usage spécifique, qu'il trouvait prétentieux et inutilement encombrant. En outre, à ses yeux, un lien étroit entre architecture et mobilier était une nécessité imposée par les conditions économiques contemporaines : "Les mobiliers à destination spéciale, ne sont qu'un pis-aller ; c'est là la solution simpliste, elle ne mérite pas qu'on s'y arrête".  

Extrait du Portfolio FRANCIS JOURDAIN, Mobilier, Éditions Galerie Doria, Paris, 2005.



FAUTEUIL A SYSTEME, vers 1902, en chêne.

samedi 13 juin 2009

FRANCIS JOURDAIN, L'HOMME : Témoignage de Elie Faure publié dans L'Humanité en 1936.

"Je connais Francis depuis trente-cinq ans. Il est devenu dès cette époque mon ami le plus cher. Il est resté le plus constant depuis. Je le regarde comme mon frère par le coeur, et c'est un lien bien autrement solide que celui du sang. Quand j'hésite entre deux routes, je me tourne vers lui, et c'est celle où il s'engage que je prends. 

Il est le seul être à ma connaissance, qui soit pleinement parvenu à accorder sa sensibilité, humaine jusqu'au déchirement, avec son intelligence, lucide jusqu'à la sérénité, et à régler sur les mouvements spontanés de son coeur les opinions réfléchies et les orientations méthodiques de son esprit. Je vois en lui l'homme nouveau par excellence, le témoin désigné des énergies qui germent dans la conscience de la fraction la plus vivante et généreuse de l'humanité aux heures décisives de son histoire. Un saint ? un héros ? formules mortes. Il aime trop la vie terrestre pour être classé dans la première catégorie. Il est trop foncièrement simple et porte une aversion trop vive à tout ce qui est mots et attitudes historiques pour entrer dans la seconde sans difficultés. Qu'il soit prêt à mourir sans phrases, qu'il consente sans se plaindre à être pauvre ou à devenir plus pauvre pour rester digne d'une cause épousée sans retour possible, cela, chez lui, est aussi normal que son amour pour les enfants ou les paroles confiantes qu'il échange avec ses amis, parce que cela se confond avec la notion claire qu'il s'est faite de la tâche où la pente de sa nature l'a conduit. 

L'artiste qui a joué le rôle principal dans la révolution de l'ameublement moderne parce qu'il a été le premier à comprendre que le meuble n'est qu'une architecture à l'échelle de nos besoins, l'humoriste aussi ironique envers lui-même qu'il est amusé par les autres, l'être fraternel qu'il se montre envers ceux qui peinent et souffrent, l'ennemi irréductible que manifestent tous ses actes vis-à-vis de ceux dont les jouissances sont faites de la peine et de la souffrance d'autrui, autant de tendances la plupart du temps isolées ou contradictoires chez la plupart d'entre nous. Chez lui, elles s'accordent sans effort dans l'unité spirituelle et active la plus harmonieuse qui se puisse concevoir. (...)". 


BUREAU ET FAUTEUIL, vers 1922, en noyer.

vendredi 5 juin 2009

LES DEBUTS DE FRANCIS JOURDAIN DANS LA CREATION DE MOBILIER

C'est en 1902, à la Société Nationale des Beaux-Arts, que Francis Jourdain expose, aux côtés de ses peintures, pour la première fois un meuble de sa conception ; il débute alors une carrière de créateur de mobilier. Bien qu'autodidacte dans ce domaine, il conçoit d'abord meubles et aménagements pour le compte de ses amis Eugène Druet, Marguerite Audoux, George Besson, tout en poursuivant son activité de peintre. 

Les demandes deviennent plus fréquentes, il décide de monter son propre atelier avec l'aide d'un ouvrier. Ainsi naissent "Les Ateliers Modernes" installés à Esbly présentés dans une plaquette comprenant une préface de l'écrivain et polémiste Octave Mirbeau, un texte de Léon Werth résumant la pensée du créateur, et des croquis de réalisations conçues selon ses principes novateurs. Une préface, dans laquelle Mirbeau décrit l'état général de la création mobilière : ces meubles fabriqués aujourd'hui, "anémiques pastiches des pièces de musée" (...) "ces aberrations de la forme" ; il y oppose la simplicité des meubles conçus par Francis Jourdain  : "tout simplement des objets témoins de notre vie et qui s'y associent docilement". 

Confronté aux excès ornementaux de l'époque,  Jourdain sent bien qu'il doit s'affranchir de tout décor dont la présence ne serait pas dictée par la fonction. Pourtant, comme il l' explique, il fut assez timide à amorcer cette épure et seule, la publication en 1913 dans Les Cahiers d'Aujourd'hui, revue dirigée par son ami George Besson, du retentissant "Ornement et crime" du célèbre architecte viennois Adolf Loos (1870-1933), a donné libre cours à son audace. Loos y proclamait que la réintroduction de l'ornement, "là où il avait disparu par nécessité historique", lui semblait impensable. Pour Jourdain, c'est une révélation et un encouragement supplémentaire dans la voie de la rénovation et de l'abandon des styles du passé. 

L'année 1913 est pour lui une année charnière. Son activité de créateur de meuble semble prendre définitivement le pas sur la peinture, et ce changement s'accompagne d'un déménagement de la famille à Paris dans un des appartements de l'immeuble à gradins nouvellement construit par l'architecte Henri Sauvage, 26 rue Vavin, Paris 6e. Il conserve néanmoins Les Ateliers Modernes à Esbly. La modernité du bâtiment de Sauvage s'accorde à l'image que Jourdain se fait d'un environnement de son temps et constitue l'occasion pour lui de mettre en pratique ses principes rationalistes. L'aménagement complet de son appartement sera présenté au salon d'Automne cette même année ; il espère que cette exposition donnera une impulsion aux commandes.

        Extrait du Portfolio FRANCIS JOURDAIN, Mobilier, Éditions Galerie Doria, Paris, 2005.