C'est en 1902, à la Société Nationale des Beaux-Arts, que Francis Jourdain expose, aux côtés de ses peintures, pour la première fois un meuble de sa conception ; il débute alors une carrière de créateur de mobilier. Bien qu'autodidacte dans ce domaine, il conçoit d'abord meubles et aménagements pour le compte de ses amis Eugène Druet, Marguerite Audoux, George Besson, tout en poursuivant son activité de peintre.
Les demandes deviennent plus fréquentes, il décide de monter son propre atelier avec l'aide d'un ouvrier. Ainsi naissent "Les Ateliers Modernes" installés à Esbly présentés dans une plaquette comprenant une préface de l'écrivain et polémiste Octave Mirbeau, un texte de Léon Werth résumant la pensée du créateur, et des croquis de réalisations conçues selon ses principes novateurs. Une préface, dans laquelle Mirbeau décrit l'état général de la création mobilière : ces meubles fabriqués aujourd'hui, "anémiques pastiches des pièces de musée" (...) "ces aberrations de la forme" ; il y oppose la simplicité des meubles conçus par Francis Jourdain : "tout simplement des objets témoins de notre vie et qui s'y associent docilement".
Confronté aux excès ornementaux de l'époque, Jourdain sent bien qu'il doit s'affranchir de tout décor dont la présence ne serait pas dictée par la fonction. Pourtant, comme il l' explique, il fut assez timide à amorcer cette épure et seule, la publication en 1913 dans Les Cahiers d'Aujourd'hui, revue dirigée par son ami George Besson, du retentissant "Ornement et crime" du célèbre architecte viennois Adolf Loos (1870-1933), a donné libre cours à son audace. Loos y proclamait que la réintroduction de l'ornement, "là où il avait disparu par nécessité historique", lui semblait impensable. Pour Jourdain, c'est une révélation et un encouragement supplémentaire dans la voie de la rénovation et de l'abandon des styles du passé.
L'année 1913 est pour lui une année charnière. Son activité de créateur de meuble semble prendre définitivement le pas sur la peinture, et ce changement s'accompagne d'un déménagement de la famille à Paris dans un des appartements de l'immeuble à gradins nouvellement construit par l'architecte Henri Sauvage, 26 rue Vavin, Paris 6e. Il conserve néanmoins Les Ateliers Modernes à Esbly. La modernité du bâtiment de Sauvage s'accorde à l'image que Jourdain se fait d'un environnement de son temps et constitue l'occasion pour lui de mettre en pratique ses principes rationalistes. L'aménagement complet de son appartement sera présenté au salon d'Automne cette même année ; il espère que cette exposition donnera une impulsion aux commandes.
Extrait du Portfolio FRANCIS JOURDAIN, Mobilier, Éditions Galerie Doria, Paris, 2005.
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